Elisabeth Elkrief est Directrice Générale de la Fondation AlphaOmega, qui lutte contre le décrochage scolaire

 

Dans cet article “Vision” de CO-Eclairages, elle nous explique la trajectoire philanthropique de Maurice Tchenio, fondateur de la Fondation, ainsi que les spécificités de la Fondation. En effet, celle-ci a choisi concentrer son soutien sur sept associations, sélectionnées pour leur impact, et a développé un modèle inspirant d’effet de levier financier. Elle joue également un rôle de plaidoyer pour influencer les politiques éducatives.

Pour en savoir plus, lire l’article ci-dessous !

 

Pourriez-vous nous expliquer la trajectoire personnelle qui a conduit Maurice Tchenio à s’impliquer dans la Venture Philanthropy ?

Maurice Tchenio considère qu’il doit tout à l’école. Issu d’une famille modeste mais méritante, il est diplômé d’HEC, puis d’Harvard, et fonde Apax Partners en France. En 2010, il revend ses parts et fonde AlphaOmega, fondation de Venture Philanthropy afin de rendre à la nation ce qu’elle lui a apporté. Convaincu que l’éducation est la clé du changement, il se lance le défi d’aider les associations à fort impact social dans le domaine de l’éducation et l’insertion sociale et professionnelle de la jeunesse défavorisée avec pour ambition de les faire croître en mettant à leur service l’argent, les compétences et les mises en réseau qui leur sont nécessaires.

 

Quant à vous Elisabeth Elkrief, quel rôle avez-vous joué dans le positionnement de la fondation ?

J’ai essayé d’apporter une vision d’ensemble de l’écosystème et fait le choix d’inscrire dans le long terme l’accompagnement des organisations. Cette prise de recul initiale nous a permis de prendre le temps de rassembler les fonds et compétences nécessaires, mais aussi d’identifier les moments clés  de rupture dans les parcours des enfants et des jeunes. Cette approche a permis à la fondation de prendre un tournant systémique.

 

Vous vous distinguez chez AlphaOmega par la focalisation de votre soutien sur seulement sept structures. Comment s’est fait votre choix ? 

Notre choix s’est porté sur : l’Afev, Article 1, Coup de pouce, Ecolhuma, Energie Jeunes, Entreprendre pour Apprendre, et le réseau des Missions Locales

Ce sont des associations qui interviennent à un moment charnière du décrochage scolaire, qui ont des fondements pédagogiques très précis, une raison d’être et les ressources internes pour s’inscrire dans une dynamique d’amélioration continue. Il est également essentiel que l’association ait une portée nationale, qu’elle adresse au moins 10% des bénéficiaires visés, et enfin, qu’elle ait envie de travailler avec nous.  

Aujourd’hui nous souhaitons massifier l’action de ces associations que nous accompagnons afin de les porter au niveau des pouvoirs publics en vue d’obtenir des financements significatifs et ainsi permettre une égalité des chances d’accès à leurs actions.   

 

Pouvez-vous nous expliquer l’effet de levier que la fondation est en mesure de produire au-delà du soutien financier apporté aux associations ?

Pour chaque euro versé en subvention, la Fondation AlphaOmega apporte l’équivalent de ce montant en valorisant le coût salarial de l’équipe (chaque chargé d’investissement se dédie ainsi à deux des sept structures accompagnées), un euro est mobilisé en co-financement externe par les fondations qui travaillent à nos côtés. Enfin, 1€ est apporté en mécénat de compétences.  

Ce modèle est efficient car, d’une part, il permet de donner aux associations des montants conséquents et ce dans la durée et, d’autre part, il permet de mobiliser un écosystème de compétences précieuses pour les associations soutenues.  

 

Vous avez publié il y a deux ans un manifeste sur le décrochage. Considérez-vous aujourd’hui jouer un rôle de plaidoyer ? Vous sentez-vous légitime après 13 ans d’action pour porter cette voix et interpeler les acteurs institutionnels ? 

Tout à fait. Notre connaissance des enjeux et la légitimité de terrain issue de l’accompagnement des sept structures nous rendent collectivement crédibles et légitimes vis-à-vis des pouvoirs publics. Mais, au-delà d’une fine connaissance du terrain, nous poursuivons sans cesse l’effort d’analyse et maintenons le lien avec des experts pour continuer à penser juste.  

De plus, mon grand combat personnel a été de porter la notion d’alliance éducative, et cela commence à porter ses fruits, les décideurs politiques commencent à reprendre cette notion. Il est fondamental de montrer que tous les acteurs doivent se retrousser les manches pour que chacun puisse apporter de la valeur. Mais il est avant tout nécessaire d’avoir de grands acteurs associatifs, qui sont capables d’apporter une valeur unique, une valeur produite et délivrée par des personnes riches d’un engagement fort !

 

Vous avez le statut de fondation « abritante ». Souhaitez-vous développer cette activité ?

Nous l’avons déjà fait pour la fondation Edith Cresson, qui œuvre pour les Ecoles de la deuxième chance, ce qui faisait tout à fait sens avec les actions de la fondation. Aujourd’hui, nous serions intéressés par le fait d’abriter une fondation qui, en contrepartie, pourrait apporter son soutien à notre portefeuille d’associations afin de créer un niveau de synergie prometteur. 

 

Dans le rapport annuel 2022, vous énoncez que les apports financiers s’élèvent à 1,9 millions d’euros. Cet argent provient-il du fruit des produits financiers placés ? 

Tout à fait, à la fondation AlphaOmega, nous levons des fonds et nous allons d’ailleurs prochainement lancer un nouveau fonds : le fonds de private equity Altaroc x AlphaOmega. 

Notre souhait était de lier la finance et le non-profit en créant des produits de partage pour la venture philanthropy. En effet, dans le modèle de produit de partage actuel, les financiers créent la valeur financière mais nous ne savons pas où va l’argent lorsqu’il est redistribué aux acteurs du non-profit, sur quel type d’actions et avec quel impact.

L’objectif pour ceux qui investissent dans ce fonds, sera de passer par un fonds de venture philanthropy qui va identifier les bons acteurs à soutenir, le fonds devenant alors garant que tous les acteurs d’intérêt général soutenus s’engagent bien sur le chemin de l’efficience. Les produits de ce fonds nous permettront de générer un flux de financement récurrent au profit des associations.

 

Auriez-vous des chiffres à nous partager sur votre action ?

Aujourd’hui, quand on travaille avec la fondation AlphaOmega, on travaille de façon indirecte pour l’éducation, la prévention du décrochage scolaire et la remédiation. Comme AlphaOmega accompagne de façon extensive 7 associations de prévention, nous accompagnons 400 000 enfants, 125 000 enseignants, et un grand nombre de décrocheurs via les Missions locales. De fait, nous avons un impact systémique sur le problème.

 

Vous avez eu un rôle déterminant auprès des 7 associations, envisagez-vous demain de prendre le rôle de détecteur de futurs talents, détecter et accompagner une pépinière d’associations qui pourraient devenir les acteurs importants de demain ? 

Nous souhaitons plutôt nous concentrer sur l’accompagnement des grandes associations, pour lesquelles le financement de la croissance est difficile. Selon nous, le repérage de pépites n’est pas le rôle de la fondation et devrait être fait par ceux qui connaissent très bien le sujet, le domaine associatif, et qui ont les capacités de faire cette veille permanente.   

 

CO va bientôt fêter ses 10 ans, et pour l’occasion nous avons décidé de nous saisir en pro bono de la question du décrochage lors de la 1re année d’études supérieures. Avez-vous repéré des acteurs qui agissent sur ce sujet spécifique ? 

Nous venons tout juste de réaliser une fresque sur les décrocheurs dont nous présenterons les principaux résultats lors d’une conférence le 11 octobre. Nous pouvons déjà affirmer que selon la définition du décrochage, les jeunes ne sont pas décrocheurs après la première année d’étude, ils sont en réorientation. Malheureusement, les ordres de grandeur ne sont pas faciles à poser car il n’y a pas beaucoup d’études sur ce sujet spécifique. 

Cela pose la question d’identifier les acteurs qui interviennent à ce moment charnière, entre le lycée est le supérieur. Hélas, nous n’avons pas encore de programme ad hoc sur le sujet.  

A suivre, donc ! 

 

Entretien réalisé par Guillemette Aveline et Pierre-Dominique Vitoux le 1er septembre 2023