TÉMOIGNAGES CROISÉS DE 3 ENTREPRENEURS SOCIAUX
Le changement d’échelle est devenu un sujet omniprésent dans le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire, et il peut être perçu comme la voie de développement unique pour les entrepreneurs sociaux qui veulent continuer à développer l’impact d’une solution qui a fait ses preuves.
Plusieurs définitions sont données au changement d’échelle. Pour reprendre celle de l’Avise, il s’agit « d’un processus par lequel la structure cherche à préserver ou à maximiser son impact social, en renforçant son organisation ou en s’appuyant sur son écosystème ». Dans la réalité, les stratégies de changement d’échelle sont multiples. Parmi les stratégies qui ont été documentées, on retrouve celle de la “duplication”, visant à répliquer sur d’autres territoires un modèle éprouvé localement, qui est celle que nous allons illustrer dans cet article.
Comment le changement d’échelle se met-il en œuvre ? Trois entrepreneurs sociaux partagent leur expérience et les spécificités du modèle d’essaimage qu’ils ont choisi.
A travers leurs témoignages, vous constaterez que la “duplication” n’en est pas vraiment une !
1. MENER SON CHANGEMENT D’ÉCHELLE : UNE SOLUTION OU DES SOLUTIONS ?
Qui est REH ?
Réseau Eco Habitat accompagne des ménages en situation de grande précarité énergétique sur l’ensemble du parcours de rénovation de leur logement.
“Notre développement s’est fait en deux temps : d’abord dans une logique de développement en propre en ouvrant une antenne, puis en essaimant notre méthode auprès de structures indépendantes.
Finalement REH a décidé de combiner deux modes de changement d’échelle”
Franck Billeau, Réseau Eco Habitat
Quelles ont été les étapes du changement d’échelle ?
Avant d’engager son changement d’échelle, l’enjeu pour REH a été de montrer sa capacité à agir en dehors de son territoire de proximité en ouvrant une “antenne” (une antenne n’a pas d’existence juridique propre). Pour diffuser la “méthode REH” et identifier des structures externes susceptibles de la dupliquer, REH a lancé un appel à projets nommé « Chauffetoi », récompensant dix lauréats pour bénéficier d’un financement, d’une formation et d’un accompagnement spécifique.
Dès lors, il est apparu que la modélisation de l’activité n’était pas suffisante. Il fallait décrire non seulement la façon d’accompagner une personne en grande précarité énergétique mais aussi les étapes pour que ces nouveaux opérateurs puissent créer l’activité, voire une structure.
Quel bilan de la réalisation du changement d’échelle ?
Le rythme de développement a été plus long qu’anticipé. Il a notamment fallu que REH se structure pour avancer opérationnellement, trouve les financements, les partenaires, et les bénéficiaires. Dans le cas précis de REH, on peut citer le rythme de décision des pouvoirs publics, et notamment l’évolution des dispositifs de droit commun encadrant et finançant l’accompagnement à la rénovation énergétique.
Et maintenant ?
Trois ans plus tard, la modélisation continue. En effet, s’il est primordial de clarifier rapidement ce qui est au cœur de la méthode (zone rouge, non négociable) de ce qui relève des adaptations locales, la modélisation se poursuit et nécessite toujours quelques adaptations, en particulier pour tirer les apprentissages des situations vécues. De plus, avec l’essaimage démarre une nouvelle phase, plus collective, d’animation et d’évolution des pratiques en fonction des apprentissages de chacun.
2. CHANGER D’ÉCHELLE POUR ÊTRE AU PLUS PRÈS DES HABITANTS
Qui est Wo.Men Safe & Children ?
Créé en 2014, l’Institut Wo.Men Safe & Children est le premier centre pluridisciplinaire français qui accueille et soigne les femmes et enfants victimes de violences. En agissant également dans la prévention et le dépistage, il prévient le schéma de la reproduction des violences.
« Il y a des méthodes et réponses bonnes pour toutes les structures, et des adaptations spécifiques à la situation de chaque association »
Frédérique Martz, Wo.Men Safe & Children
Comment s’est engagé le changement d’échelle ?
Le changement d’échelle ne s’est pas décrété mais imposé : intervenir en proximité de victimes sur d’autres territoires que l’implantation initiale des Yvelines était primordial pour ses fondateurs.
Wo.Men Safe & Children a alors engagé un travail très conséquent de modélisation de la méthode mise en place dans les Hauts-de-Seine, prenant en compte à la fois les invariants dans l’écosystème et la particularité des territoires ciblés. Ces travaux ont été guidés et accompagnés grâce aux financements d’une étude de faisabilité et de l’ingénierie de développement par un bailleur, ainsi que l’appui d’une coach de dirigeant.
Comment le changement d’échelle s’est-il traduit dans la réalité ?
Le choix a été fait d’un modèle de développement par création d’associations locales autonomes par des porteurs de projets locaux. Celui-ci s’est accompagné de la création rapide d’une tête de réseau, avec une gouvernance propre, en charge de l’accompagnement et de la transmission des méthodologies, appelée l’Archipel Wo.Men Safe. Cela a permis de soulager l’équipe historique des Yvelines pour qu’elle continue à se consacrer à son activité opérationnelle.
Et maintenant ?
Il s’agit de trouver des porteurs de projets qui soient « compatibles » avec le projet associatif, ce qui cadence le rythme de développement sur de nouveaux territoires, avec l’obtention de nouvelles ressources.
3. CHANGER D’ÉCHELLE : DES PHASES D’ACCÉLÉRATION ET DE PRISE DE RECUL
Qui est VRAC ?
VRAC lutte contre la précarité alimentaire en proposant l’accès à une alimentation saine, digne et durable pour toutes et tous au travers de circuits de distribution durables et équitables avec les producteurs et en créant des groupements d’achat pour favoriser la mixité et le lien social.
“On aurait pu éviter quelques écueils en modélisant : en effet, tous les VRAC qu’on a modélisés fonctionnent”
Boris Tavernier, Fédération VRAC
Comment s’est engagé le changement d’échelle ?
La première phase de déploiement a été impulsée avec le soutien de la Fondation la France s’Engage à compter de 2017, avec l’ambition d’ouvrir plusieurs VRAC locaux chaque année. Durant cette période, la création de nouvelles associations locales s’est faite de manière opportuniste et sur sollicitation, sans réaliser au préalable de modélisation.
La deuxième phase a été impulsée en 2021 par le Plan de relance, au cours de laquelle VRAC a choisi d’investir dans la modélisation pour éviter les écueils rencontrés lors de la première phase. Celle-ci a pris du temps, mais a permis ensuite de se développer avec une plus grande facilité et a permis une meilleure résilience des nouvelles structures.
Le rythme de développement a été très rapide avec le passage de 6 à 17 associations en environ 2 ans.
Quel a été le modèle retenu ?
Le modèle historique de VRAC est celui d’une Fédération d’associations locales autonomes, reliées entre elles par une charte de valeurs et animées par une tête de réseau, entièrement au service du réseau et de la cause. Ce modèle favorise l’ancrage territorial et l’intégration dans le tissu associatif local.
4. CHANGER D’ÉCHELLE : QU’EN RETENIR ?
3 conseils partagés par les entrepreneurs sociaux :
1. Prendre le temps de recenser les intangibles, le socle commun du futur réseau, et ne pas sous-estimer l’importance du contexte local dans le fonctionnement des nouvelles implantations
2. Investir de l’énergie et du temps dans les recrutements des porteurs de projet locaux
3. Anticiper la charge de travail, mais aussi les apports, que représente l’exercice de modélisation (notamment pour ne pas mettre les équipes en surchauffe)
5. LE REGARD DE CO
La conférence nous a permis d’aborder quatre grand sujets liés au changement d’échelle.
Les expériences de ces 3 entrepreneurs sociaux illustrent la diversité des stratégies de “duplication” expérimentées, et leurs évolutions dans le temps.
Au fur et à mesure des accompagnements que nous réalisons chez CO, nous nous sommes forgé certaines convictions fortes sur le changement d’échelle :
> Ce n’est pas une obligation: l’injonction à grandir ou grossir ne correspond pas toujours au projet, à l’ADN de l’association ou de son fondateur
> Ce n’est pas une homothétie: changer d’échelle, même dans une logique de « duplication », ne consiste pas à faire “en plus gros” et ailleurs ce qui a été fait jusque là
> Il n’est possible qu’à certaines conditions: la réalisation de la preuve du concept et la modélisation de la méthode et du déploiement sont des conditions fortes pour la réussite d’un changement d’échelle (sans pour autant attendre d’avoir “tout” modélisé pour se lancer !)
> Il n’y a pas de bonne réponse unique, mais beaucoup de bonnes questions à se poser !
Retrouvez ici plus de références d’accompagnement au changement d’échelle : Notre métier – CO Conseil (co-conseil.fr)
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